L’art d’errer dans l’infini

Pénétrer dans la cité fortifiée de Pérouges, œuvre de pierre médiévale qui, juchée sur la colline qui lui sert de socle, semble une sculpture ouverte à l’immensité céleste, est une expérience qui évoque déjà le pèlerinage, la quête d’émerveillement hors du temps et des lieux quotidiens.

Mais il fallait encore y pousser la porte de la discrète Maison des arts contemporains, au début du printemps 2022, pour s’extraire pleinement du tumulte des hommes, et prendre la mesure de l’infini. L’infini d’un monde qui ne distingue plus le naturel et le surnaturel, le perceptible et l’imperceptible, le jour et la nuit. Dans ce cosmos où rien n’est définitif, où tout est sans cesse à explorer et découvrir, l’évasion se fait errance perpétuelle.

Mais celle que nous propose Giulia est libératrice, buissonnière ; en un mot, régénératrice. Car Giulia n’expose pas, elle transmet un savoir originel : celui de voir dans la moindre sensation, vibration, ou lueur une effusion de vie inattendue. C’est là tout son talent, que De la nuit à l’aube de la nuit prolonge.

Le temps d’un passage qui pourrait pourtant prendre valeur d’éternité, Giulia accueille elle-même, avec son indéfectible sourire solaire, les curieux — les attentifs ? — qui veulent bien s’abandonner à l’enchantement des sens. Investie par l’artiste, la maison est devenue cabane, refuge féérique où l’on se sent chez soi, où l’on peut retrouver la jouissance intime de ce monde cosmique.

« Ce monde, c’est le vôtre ; c’est le nôtre. Pour toujours. J’y trace des chemins sur lesquels vous pouvez me suivre. Mais vous pouvez, bifurquer, et vous laisser guider par votre propre instinct », semble vouloir dire l’artiste à travers cette exposition. Chaque œuvre est une étape du chemin, une invitation à percevoir différemment ce monde infiniment riche, et surtout une modeste tentative de le sublimer. Alors nous comprenons qu’un peu d’imagination suffit à en exprimer toute la poésie sans jamais l’épuiser, quand nous ne désirons plus que des paradis artificiels. Nous avions oublié que sa simplicité est sa majesté même, tout absorbés que nous sommes par une société frénétique.

Ainsi De la nuit à l’aube de la nuit dilue le temps et l’espace, nous immerge dans l’essence des choses et des éléments, pour mieux nous les faire ressentir. Inspirée par la nature environnante, Giulia a fouillé, observé, amassé, immortalisé un peu des matières et des phénomènes qu’offre l’infini. Puis elle a mobilisé toute sa palette de techniques et sa virtuosité, pour produire de petits miracles d’art.

Ses œuvres n’ont pourtant rien de sacré, bien au contraire. Elles se contentent de donner des formes nouvelles à la vie et de marier les éléments, sans le moindre artifice mais grâce au génie créatif de l’artiste. L’animal, le minéral, le végétal dialoguent et se confondent ; les plus petites choses, observées de près, dessinent des territoires que nous ne pourrons jamais arpenter. Ainsi illusionnés et émerveillés, nous saisissons l’incertitude et la fragilité de notre propre condition. Nous voilà plongés dans la nuit perpétuelle.

Comme Giulia cheminons à tâtons, et en chuchotant. Humblement. Nous ne sommes que de passage dans cette universalité cosmique ; sachons savourer les merveilles qu’elle nous laisse entrevoir, sans pouvoir en percer les secrets. Car la nuit est sa promesse, sans cesse renouvelée.

Adrien Béat -
A propos de l’exposition personnelle De la nuit à l’aube de la nuit de Giulia Zanvit
2022


Giulia Zanvit explore les possibilités de convergence des formes artistiques.
Elle approfondit notre compréhension et notre interrelation avec la nature.

En contact avec celle-ci depuis toujours et grâce à son observation des éléments, l’artiste a su développer son regard et sa sensibilité plastique qui l’accompagnent dans ses recherches. Ainsi, ses réflexions sont toujours tournées vers des détails qu’elle considère, qu’elle valorise et magnifie.

Ses œuvres nous plongent dans les racines fécondes de la terre d'où éclatent le chant de nouvelles expériences. Lieu où la matière de ses créations vibre et résonne en nous.

A travers le dessin, la peinture, le collage, la sculpture, l’artiste nous propose un fragment de paysage qui lui apparait comme une empreinte intime. Cette relation qu’elle établit avec la nature permet à celle-ci de retrouver sa place et nous fait réfléchir sur notre relation avec l’espace naturel.

Car oui, le travail de Giulia Zanvit nous conduit vers de nombreux chemins sur lesquels nous devrions tous aller.

Angela Beneitez - Médiatrice culturelle et galeriste chez Bohosphère
Texte sur l’exposition personnelle Des harmonies - Le chant des états de Giulia Zanvit
2021


« Dans le jour doit passer la nuit ; la nuit qui se fait jour rend la lumière plus riche et fait de la clarté, au lieu de la scintillation
de la surface, le rayonnement venu de la profondeur. »1


Qui saurait-dire si du jour ou de la nuit sont éclairées les oeuvres de Giulia Zanvit ?

Qui saurait-dire si des rayons du soleil ou de la fluorescence de la lune sont habillées les couleurs de ses toiles ?

Au travers des rouges, des bleues, des blancs et des noirs, s’érige un monde en soi, pluridimensionnel, dont les lignes et les courbes des corps accidentés et escarpés s’introduisent à la manière de la montagne et du récif. L’un comme l’autre, dans le jeu du temps et de l’espace, s’éloignent et se rassemblent en un point terrestre, lieu d’une infinie rencontre.

La rencontre justement, L’heure bleue en a sonné l’occasion !

Chacune des toiles de Giulia Zanvit invite à la découverte, à regarder non pas un paysage montagneux, mais à être ce corps solitaire qu’est la montagne, à la fois dangereuse et fragile. Seule, nue, torturée, les lignes abîmées de ses flancs continuent malgré tout de dresser vers les nuages son imposante figure ; et de faire d’elle le témoin éternel des mouvements du monde. Spectatrice silencieuse de la rencontre entre la terre et le ciel, entre le jour et la nuit, la montagne est une retraite à part entière, un isolement nécessaire pour prendre de la hauteur et surplomber ce qui est présent à soi et le comment de notre présence aux choses.

Métaphore ? Sûrement pas. La montagne reste un relief et l’artiste la créatrice. Mais les courbes et les traits secs de ses représentations transcendent les lignes de la nature et échappent à l’immobilité de la figuration. Chaque tache, chaque trace retrouvent l’impulsion primitive d’une peinture primordiale et nécessaire ; celle d’une toile originelle, semblable aux fresques pariétales, témoins des premières perceptions du monde. Car le geste de Giulia est précis, vivant, rythmique, fort d’un langage qui donne à la nature, à l’Homme et à elle-même un espace pour subsister, ensemble. On ne regarde pas un paysage, on ne regarde pas l’artiste, mais le lieu commun d’une rencontre où, chacun d’eux, formulent et justifient l’existence de l’autre.

Cependant les fissures béantes, les cavités profondes et les ciels immaculés, créent tour à tour une opposition entre les vides et les pleins, façonnant l’espace de ses tableaux à la manière d’une énigme. Comment traverser ? Les silhouettes colossales et abruptes des montagnes laissent peu de place à l’horizon, pourtant promesse d’un nouveau séjour. Rien de décourageant malgré tout : les sphères lumineuses dans la partie supérieure des toiles ; parfois soleil, parfois lune ; font l’effet de cibles à atteindre, d’une ouverture, d’un ailleurs, d’un advenir possible, nécessaire et salvateur.

Véritable invitation au voyage, les couleurs, les traits, les lignes et les motifs des dessins de Giulia Zanvit sont la promesse d’une excursion singulière : celle d’un parcours au travers du dehors et de l’intime, traversant tour à tour l’Homme et le paysage. L’incertitude du périple entre les gouffres et les sommets révèle l’intérêt de l’artiste pour cet équilibre délicat entre l’Homme et les énigmes de la nature, cultivant l’introspection.

Aux risques du voyage survient toujours l’excitation de la découverte, seule garantie d’un périple accompli et véritable.


1 BLANCHOT (Maurice), L’espace littéraire, Cher, Gallimard, coll. Folio Essai, 1988.

Julie EVEILLARD - Responsable galerie Superposition
A propos de l’exposition personnelle L’heure bleue de Giulia Zanvit
2019